Synthèse de l’article

  • L’affaire Polytechnique révèle l’ampleur de la dépendance européenne aux géants technologiques américains.
  • Sous la pression politique et juridique, l’école a suspendu sa migration vers Microsoft 365.
  • Cet épisode prouve que la souveraineté numérique est un enjeu stratégique concret, notamment pour les données sensibles.
  • Il souligne l’urgence pour l’Europe de développer un écosystème technologique autonome et conforme à ses valeurs.

Depuis plus de vingt ans, nous le savons, nous le disons, nous l’écrivons : la souveraineté numérique n’est plus une option stratégique, c’est une condition de survie pour les États modernes. Pourtant, à l’aube de 2025, la France et l’Europe peinent encore à s’extraire d’une dépendance technologique chronique vis-à-vis des géants américains.

Plus de 72 % du marché européen du cloud est contrôlé par trois acteurs non européens ; Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud (selon Synergy Research, 2024). Dans l’administration française, près de 80 % des outils bureautiques restent fournis par des entreprises soumises au Cloud Act américain.

2025 : la France face au miroir de sa dépendance numérique

Dans ce contexte, deux décisions ont fait l’effet d’un coup de tonnerre. En mars 2025, l’État a confié à Microsoft l’hébergement des données sensibles de l’Éducation nationale (152 M€ sur quatre ans), tandis que l’École polytechnique annonçait la migration de ses messageries, y compris celles des zones à régime restrictif (ZRR), vers Microsoft 365. Ces choix ont déclenché une levée de boucliers : Jean-Noël de Galzain (Hexatrust) dénonce « une faute stratégique majeure », et Philippe Latombe parle de « faiblesse de l’administration » face à « la séduction des géants américains ».

Le paradoxe est d’autant plus flagrant que la doctrine « Cloud au centre » interdit l’usage de fournisseurs non qualifiés SecNumCloud pour les données sensibles, excluant Microsoft, Amazon et Google soumis aux lois extraterritoriales américaines (Cloud Act, FISA). De plus, l’article L123-4-1 du Code de l’éducation impose l’usage prioritaire de logiciels libres dans l’enseignement supérieur. En signant avec Microsoft, Polytechnique s’est donc affranchie à la fois de la loi et des directives gouvernementales.

Cette contradiction révèle l’écart entre les discours sur la souveraineté et les actes. Selon Capgemini (2024), 67 % des organisations publiques jugent « difficile voire impossible » de se passer des solutions américaines, invoquant coûts et habitudes. Mais derrière ces arguments se cache un enjeu bien plus stratégique : les données sensibles issues des ZRR pourraient être légalement réclamées par Washington, comme en 2023, lorsque la justice américaine a exigé que Microsoft transmette des données européennes pourtant hébergées dans l’UE.

Optez pour la collaboration souveraine et sécurisée

Collaborez et partagez tous vos documents, y compris les plus sensibles, au sein d’un environnement cloud de confiance sécurisé.

Octobre 2025 : le sursaut de Polytechnique et un signal pour l’Europe

Et puis, le 13 octobre 2025, un tournant. Sous la pression conjuguée des chercheurs, du CNLL (Conseil National du Logiciel Libre), des parlementaires et d’une opinion publique de plus en plus sensibilisée, Polytechnique annonce la suspension de sa migration vers Microsoft 365. La décision, qualifiée de « première victoire » par le CNLL, marque un moment charnière dans l’histoire récente de la souveraineté numérique française.

Le projet était juridiquement intenable. Outre l’article L123-4-1, il violait plusieurs directives ministérielles et exposait les données à des risques de captation par des puissances étrangères. « Le passage en force au détriment de la souveraineté n’est plus une option viable », tranche le CNLL dans son communiqué. Stefane Fermigier, co-président du conseil, est plus explicite encore : « Le modèle des clouds soumis au droit extraterritorial américain est structurellement incompatible avec le droit européen et la protection de nos intérêts stratégiques. »

Cette victoire est le fruit d’une mobilisation rare. Elle a combiné la pression juridique (procédure précontentieuse engagée par le CNLL), la pression politique (questions écrites de Philippe Latombe) et la pression interne (pétitions, prises de position publiques des chercheurs). Elle révèle aussi l’importance du rôle joué par la société civile et les acteurs associatifs dans l’équilibre des choix technologiques nationaux.

L’affaire Polytechnique n’est finalement qu’un symptôme. Elle révèle l’étendue d’une dépendance systémique dans tout l’enseignement supérieur et la recherche. Au même moment, la DSB autrichienne (équivalent de la CNIL) déclarait que Microsoft 365 Education violait le RGPD en exploitant illégalement les données des étudiants. En France, des enseignants affirment être contraints d’abandonner les outils libres au profit de solutions propriétaires. Cette dérive menace non seulement la souveraineté, mais aussi la liberté académique et l’innovation.

Vers un modèle européen de confiance : impératif stratégique

L’affaire Polytechnique doit être l’électrochoc qui pousse l’Europe à agir. Car si la suspension du projet est une victoire symbolique, elle ne suffit pas. Elle ne résout ni la question du financement des alternatives européennes, ni celle de la commande publique, ni celle de l’interopérabilité. Elle montre surtout que les outils existent : OVHcloud, Outscale, Scaleway, Cloud Temple ou encore Nextcloud offrent des solutions matures, sécurisées et conformes au droit européen.

Le défi n’est plus technologique. Il est politique et culturel. Tant que les administrations continueront à privilégier les solutions les plus connues ou les moins chères à court terme, l’Europe restera dépendante. Or, comme l’écrit le CNLL, « confier les données de la recherche à des acteurs soumis à des lois d’ingérence étrangères est une faute stratégique majeure ».

La commande publique représente près de 200 milliards d’euros par an dans l’Union européenne. Si une fraction seulement de ces budgets était orientée vers des solutions souveraines, cela suffirait à faire émerger des champions européens capables de rivaliser avec les GAFAM. L’Europe l’a déjà démontré dans d’autres secteurs : Airbus n’existerait pas sans un volontarisme politique face à Boeing. Pourquoi ne pas adopter la même logique pour le cloud, l’IA ou les logiciels critiques ?

Une bataille qui ne fait que commencer

La suspension du projet Microsoft à Polytechnique n’est pas une fin, c’est un commencement. Elle marque la première fissure visible dans un édifice de dépendance bâti depuis trente ans. Elle prouve que la mobilisation fonctionne, que la loi peut être un levier et que la souveraineté n’est pas un rêve lointain, mais une stratégie concrète.

Elle envoie surtout un message clair : l’Europe n’a plus le luxe d’attendre. Dans un monde où la donnée est l’arme et la ressource du XXIe siècle, confier son savoir, sa recherche et ses infrastructures à des puissances étrangères revient à abandonner une part de sa souveraineté.

Il est temps, pour la France et pour l’Europe, de passer d’une logique de dépendance subie à une stratégie de souveraineté assumée. Non par repli, mais pour défendre ce qui fonde notre indépendance, notre innovation et notre avenir collectif.

Oodrive et la souveraineté numérique

En tant qu’acteur français et européen engagé, Oodrive développe des solutions de collaboration qualifiées SecNumCloud et pleinement conformes au RGPD. Chaque jour, entreprises et administrations choisissent ces outils pour reprendre le contrôle de leurs données stratégiques, sans renoncer à la performance ni à la sécurité.

Pour Oodrive, la souveraineté numérique n’est pas qu’un idéal : elle se construit par des choix technologiques responsables qui contribuent à garantir notre indépendance.


Sources principales :

·  Sabotage ? Illégal ? L’Éducation nationale et Polytechnique choisissent Microsoft — 01net, Stéphanie Bascou (23 mars 2025) : https://www.01net.com/actualites/sabotage-illegal-leducation-nationale-et-polytechnique-choisissent-microsoft-on-vous-explique-la-polemique.html 01net.com

·  « Une victoire majeure pour la souveraineté » : Polytechnique suspend son contrat avec Microsoft — 01net (14 octobre 2025) : https://www.01net.com/actualites/une-victoire-majeure-pour-la-souverainete-polytechnique-suspend-son-contrat-avec-microsoft.html 01net.com

·  noyb win: Microsoft 365 Education may not track school children — noyb (sur la décision de la DSB autrichienne) : https://noyb.eu/en/noyb-win-microsoft-365-education-tracks-school-children noyb.eu

·  Austria: DSB finds Microsoft 365 Education in violation of GDPR data subject rights — DataGuidance (analyse de la décision) : https://www.dataguidance.com/news/austria-dsb-finds-microsoft-365-education-violation DataGuidance

·  Microsoft 365 Education viole illégalement les données des élèves — LeMondeInformatique : https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-microsoft-365-education-traque-illegalement-les-donnees-des-eleves-98167.html Le Monde Informatique

·  Austria finds Microsoft ‘illegally’ tracked students — The Local (article grand public) : https://www.thelocal.at/20251010/austria-finds-microsoft-illegally-tracked-students The Local Austria

·  Austrian DPA finds Microsoft 365 Education violates GDPR — Digital Watch Observatory : https://dig.watch/updates/austrian-dpa-finds-microsoft-365-education-violates-gdpr dig.watch